Dans un article de revue publié dans Nature Communications, l’équipe « Matériaux polymères aux interfaces » du laboratoire Lambe explore le potentiel des nanopores pour le diagnostic médical au chevet du patient.
Les chercheurs évryens sont parmi les leaders mondiaux sur ces nanotechnologies pour la détection de biomarqueurs. Ils présentent ici les avancées et les défis de la détection ultra-sensible des variations conformationnelles des protéines, biomarqueurs clés de nombreuses pathologies. À l’heure où la croissance et le vieillissement de la population mondiale amplifient l’incidence des maladies, la capacité des technologies nanopores à détecter rapidement et précisément de faibles concentrations de biomarqueurs de nouvelle génération pourrait booster le diagnostic précoce et la médecine personnalisée.
Accompagnant le vieillissement de la population mondiale, les maladies chroniques, les troubles neurodégénératifs, les cancers et les maladies cardiovasculaires sont appelées à croître. Le diagnostic précoce, via l’identification de biomarqueurs dans les fluides biologiques, représente un enjeu majeur pour optimiser la prise en charge et limiter les coûts de santé.
Aujourd’hui, les preuves scientifiques croissantes de conséquences pathologiques aux changements de conformation d’un peptide ou d’une protéine, même minimes, et non pas seulement à sa présence ou son absence, ouvrent la voie à de nouveaux biomarqueurs révélant ces variations fines de structure. La détection conformationnelle dans un biofluide devient donc cruciale.
Les enjeux sont multiples :
- établir des seuils de concentration pathologiques (en fonction de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique),
- garantir la fiabilité et la rentabilité des tests,
- permettre la détection simultanée de plusieurs biomarqueurs
- assurer la standardisation des analyses.
L’équipe « Matériaux polymères aux interfaces » du laboratoire Lambe (Université d’Évry Paris-Saclay/CY Cergy Paris Université/CNRS), dirigée par Juan Pelta, signe dans Nature Communications un article de revue sur le potentiel et les enjeux des technologies nanopores.
Vers des tests au chevet du patient ?
Malgré des avancées majeures en biologie médicale, peu de tests sont aujourd’hui exploitables directement sur le lieu de soin. Leur développement est freiné par le besoin d’appareils simples, sensibles, standardisés et manipulables par des non-spécialistes.
Ainsi, il existe plusieurs méthodes d’analyse conformationnelle et quantitative des biomarqueurs : chromatographie haute performance, immunodosages, spectrométrie, techniques de fluorescence, FRET ou microscopie à force atomique. Si elles offrent des analyses précises, elles sont souvent complexes et coûteuses, ou incapables de détecter des modifications aussi subtiles qu’un changement d’acide aminé ou d’une modification post-traductionnelle, aux concentrations extrêmement faibles des premiers stades d’une pathologie.
L’ambition est donc de concevoir des dispositifs capables d’identifier rapidement des formes spécifiques de biomarqueurs directement dans des fluides biologiques complexes, en s’affranchissant de lourds équipements et traitements d’échantillons.
La technologie Nanopore : détection électrique en temps réel, molécule par molécule
Certaines molécules naturelles ont la propriété de former des pores de taille nanométrique dans les membranes cellulaires. Les scientifiques ont exploré le potentiel de ces nanopores pour l’analyse des molécules biologiques en les insérant dans une membrane de lipides séparant deux compartiments remplis d’une solution électrolytique. Sous l’action d’un champ électrique, les molécules de la solution sont entraînées vers le nanopore et le traversent, une par une, bloquant ainsi partiellement et temporairement le courant ionique. Chaque molécule provoque, en temps réel, une signature électrique unique, révélatrice de sa taille, forme, charge ou séquence.
Initialement mise au point pour le séquençage de l’ADN, la détection électrique par nanopores est actuellement développée pour l’analyse de peptides et protéines dans des contextes cliniques. La résolution de la technologie repose sur deux paramètres principaux : l’intensité de blocage du courant et le temps de séjour de la molécule dans le pore. Ces éléments varient selon les propriétés physicochimiques de l’analyte. En modifiant les caractéristiques du nanopore, les solutions électrolytiques ou les conditions d’interaction avec l’analyte, il est possible d’augmenter la sensibilité, d’améliorer le confinement de la molécule et de distinguer de très fines variations conformationnelles.
Un outil de détection conformationnelle de grande sensibilité
L’une des forces majeures des nanopores est leur capacité à détecter des différences subtiles de conformation ou de composition des biomarqueurs. L’article présente des démonstrations, issues des travaux de plusieurs équipes de recherche, de la capacité de la méthode à détecter/différencier :
- Les mutations d’un seul acide aminé
Les auteurs résument les résultats de quatre équipes, dont leurs propres travaux réalisés sur la détection dans le sérum sanguin de deux kinines impliquées dans l’asthme, les cancers, le sepsis ou encore le Covid, qui diffèrent par un acide aminé unique. En combinant nanopores et machine learning, l’équipe du Lambe est parvenue à différencier les deux kinines entre elles et à les distinguer des autres molécules du mélange.
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- Les modifications post-traductionnelles
Des peptides comme le fibrinopeptide A, biomarqueur de la coagulation associé aux AVC, accidents cardiovasculaires et cancers, existent sous des formes phosphorylées ou clivées issues de modifications post-traductionnelles, que les méthodes classiques distinguent difficilement. Les nanopores permettent de les identifier avec précision grâce à des signatures électriques spécifiques.
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- Les énantiomères, molécules miroirs
La technologie se révèle également capable de distinguer les deux formes miroirs l’une de l’autre qui caractérisent les protéines dites « chirales », ce qui est hors de portée des méthodes standards comme la HPLC ou la spectrométrie de masse reposant sur les différences de masse. Or ces énantiomères ont des effets biologiques souvent différents, pathologiques ou au contraire thérapeutiques.
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Potentiel et défis du diagnostic par nanopores
Les capteurs nanopores sont les seuls à pouvoir combiner une analyse au niveau de la molécule unique, une grande sensibilité (détection de 100 à 1000 molécules en solution) et une capacité à détecter des modifications infimes. La technologie répond au besoin probablement croissant de diagnostiquer de faibles modifications conformationnelles de biomolécules de plus en plus précocement.
Cependant, des obstacles restent à surmonter pour un usage clinique :
- Les cas de très faibles concentrations d’analytes dans les fluides biologiques nécessitent de mettre au point des pré-traitements de l’échantillon, de développer l’ingénierie des nanopores protéiques, de rechercher des agents favorisant l’interaction pore-analyte, etc.
- Les membranes portant actuellement les nanopores, lipidiques, sont fragiles et difficiles à produire et standardiser pour une montée à l’échelle clinique ;
- L’interprétation des signaux électriques générés par le passage dans le nanopore, parmi le « bruit de fond » du mélange moléculaire complexe d’un fluide biologique, manque encore de bases de données consistantes pour entraîner les algorithmes d’IA dont l’utilité a été montrée.
L’amélioration du rapport signal/bruit, le développement de nanopores hybrides plus sensibles, la combinaison avec des agents de confinement ou des « balises » moléculaires, des membranes de polymères synthétiques plus robustes, sont autant de pistes explorées actuellement pour lever ces verrous.
Un atout pour les diagnostics précoces vitaux
Les tests basés sur les nanopores ne remplaceront probablement pas les tests existants, mais pourraient répondre à un besoin médical majeur, en particulier quand un diagnostic rapide est vital (AVC, infarctus, infections fulgurantes comme les méningites…). En réduisant le délai entre le prélèvement et le résultat à quelques heures, la technologie offrirait un avantage décisif en clinique. Pour établir les seuils de référence et valider ces biomarqueurs, des études sur des cohortes de patients seront nécessaires.
Enfin, pour une application en routine au chevet du patient, l’ambition serait, à l’avènement de l’IA et des nanotechnologies portables, de concevoir des plateformes miniaturisées semblables au séquenceur portable MinION, avec logiciel et IA embarqués qui automatiseraient l’analyse.