Le 9 juillet 2025, Genopole, l’Université d’Évry et le laboratoire LBEPS ont co-organisé la 4e édition de la conférence « Thérapies innovantes et combinatoires », un rendez-vous annuel qui s’affirme comme un temps fort de réflexion collective sur les stratégies thérapeutiques et qui témoigne de la dynamique du campus évryen sur cet enjeu de santé.
L’événement a rassemblé chercheurs, cliniciens, ingénieurs et acteurs de l’innovation biomédicale autour d’un objectif commun : faire émerger des solutions thérapeutiques intégrées, notamment des combinaisons de traitements, et accélérer le passage de ces innovations à la clinique.
Depuis son lancement en 2022, la conférence explore les approches combinatoires – associations de thérapies géniques, cellulaires, pharmacologiques ou physiologiques – comme leviers pour améliorer l’efficacité des traitements, réduire les effets secondaires et cibler plus finement les mécanismes pathologiques. Chaque édition a abordé ces stratégies sous un angle spécifique : regards croisés sur les mécanismes et thérapies des maladies neuromusculaires lors de la 1re édition, élargissement à d’autres pathologies et transversalité des enjeux pour la 2e, ciblage thérapeutique et stratégies d’optimisation pour la 3e et, en 2025, intégration du numérique et de l’IA, accélérateurs de la découverte de nouveaux médicaments. En réunissant des intervenants et participants extérieurs aux côtés des équipes du biocluster génopolitain, cette nouvelle édition, ouverte par Vincent Bouhier, président de l’Université Évry Paris-Saclay et Christophe Lanneau, directeur Recherche et Plateformes à Genopole, confirme la dynamique d’un écosystème à la croisée de la recherche académique, clinique et industrielle, pour l’innovation thérapeutique.
Des avancées de pointe en thérapies cellulaires et géniques
La première session a mis à l’honneur des projets de recherche translationnelle visant à structurer des solutions de thérapies géniques et cellulaires de nouvelle génération.
Christine Baldeschi (I-Stem) a présenté les travaux de son équipe pour la thérapie régénératrice de la peau, depuis le protocole de recherche jusqu’à la création d’une banque de kératinocytes de grade clinique, le développement d’une matrice de fibrine pour les cultiver et les contrôles qualité de l’épiderme pluristratifié ainsi reconstitué.
Le tissu formé est stable pendant 4 jours et prêt à être testé dans un essai clinique à venir. L’équipe travaille aussi à l’automatisation de la culture cellulaire par le développement d’une cassette afin de réaliser des pansements de peau, et à l’intégration de l’IA dans le contrôle qualité.
Aurélie Goyenvalle (UVSQ, Université Paris-Saclay) a exposé ses recherches sur l’optimisation des oligonucléotides antisens (ASO) pour la dystrophie de Duchenne.
Deux axes sont explorés :
- (1) améliorer la biodistribution des ASO en favorisant la vascularisation des muscles dystrophiques cibles, par une approche combinée avec des AAV,
- (2) restaurer la dystrophine dans le cerveau pour traiter les comorbidités cognitives.
Ces approches ont montré des effets fonctionnels et une amélioration des biomarqueurs de la maladie en préclinique. L’équipe a obtenu un financement européen (MSCA) pour créer le réseau doctoral EFFecT de formation de la prochaine génération de chercheurs en technologie antisens.
Anne Galy (ART-TG, Inserm) a présenté le projet THERA-B, mené dans le cadre du PEPR Biothérapies, qui vise à produire in vitro ou in vivo des anticorps thérapeutiques via l’ingénierie des lymphocytes B, en proie aujourd’hui à des blocages technologiques. À travers des technologies d’édition génomique comme CRISPR, le développement d’outils pour optimiser et cibler la délivrance, ou encore la modélisation in vitro de l’activation des lymphocytes B par organoïdes, l’équipe explore de nouvelles pistes pour traiter VIH, cancers ou maladies auto-immunes.
IA et modélisation : des leviers numériques pour l’innovation thérapeutique
La seconde session a mis en lumière le rôle croissant du numérique dans l’accélération de la découverte et l’optimisation de thérapies.
Xavier Nissan (I-Stem) a présenté le projet européen DREAMS dont l’ambition est d’accélérer l’identification de traitements pour des maladies génétiques rares via l’association de la modélisation cellulaire de ces maladies, du criblage à haut débit de médicaments sur ces modèles et de l’intelligence artificielle. La preuve de concept sur la dysferlinopathie, dystrophie des ceintures R2 (LGMD-R2), a déjà permis d’identifier deux molécules prometteuses. Le consortium a ciblé des dystrophies musculaires partageant des mécanismes pathologiques communs, notamment l’altération de la voie de dégradation autophagique. 22 lignées iPS sont prêtes pour générer les modèles cellulaires de ces maladies.
Marco Mendoza (Sysfate – Genoscope) a montré que la biologie des systèmes, combinée à l’intelligence artificielle, peut lever des verrous majeurs pour le développement de thérapies. Dans le cadre du projet européen T-Fitness, son équipe a modélisé les circuits de régulation impliqués dans l’épuisement des cellules CAR-T, qui constitue aujourd’hui un obstacle au traitement des tumeurs solides. En croisant simulations et données publiques, l’équipe a identifié neuf facteurs de transcription clés contrôlant le phénomène, ouvrant ainsi la voie à la construction de microARN régulateurs pour générer des cellules T résistantes à cet épuisement.
Vers des stratégies thérapeutiques combinatoires
La troisième session a été consacrée à l’illustration concrète de combinaisons thérapeutiques appliquées à des pathologies complexes.
François Lemonnier (Hôpital Henri Mondor) a exposé la difficulté du traitement des lymphomes T, maladies hétérogènes et complexes, et présenté les avancées pour les formes TFH, qui représentent près de la moitié des cas. Les monothérapies se révèlent insuffisantes, et les combinaisons apparaissent comme la voie la plus prometteuse. Ces lymphomes impliquent des altérations épigénétiques, nécessitant des combinaisons de molécules ciblant à la fois l’épigénétique et la signalisation cellulaire. Pour accélérer le développement de ces stratégies, il a mis en place, avec le groupe LYSA, une plateforme d’essai clinique ouverte aux chercheurs académiques et industriels. Plusieurs combinaisons sont déjà en cours de test.
Laurent Schaeffer (Institut NeuromyoGene) a abordé une problématique émergente dans la prise en charge de l’amyotrophie spinale infantile : l’atrophie musculaire persistante chez les enfants sauvés par le traitement comme le Zolgensma. Cette nouvelle question clinique a motivé la création du projet de recherche hospitalo-universitaire (RHU) SMART (SMA Muscle Atrophy Remediative Therapy), financé par l’ANR. Son équipe a ciblé la protéine HDAC6, impliquée dans le processus d’atrophie musculaire et localisée à la jonction neuromusculaire. Des études précliniques ont montré l’intérêt d’une approche combinée associant la thérapie primaire liée à la protéine SMN (Survival of Motor Neuron) et un inhibiteur de HDAC6. L’objectif est désormais de développer, par chimie combinatoire, des inhibiteurs non toxiques, hydrosolubles et spécifiques des HDAC6 qui pourraient être appliqués à toute forme d’atrophie musculaire.
Giuseppe Ronzitti (Généthon) développe une stratégie combinatoire pour la glycogénose de type III, maladie à la fois métabolique et musculaire. Son équipe a conçu une thérapie génique à double vecteur AAV pour délivrer le transgène, de grande taille, avec un promoteur assurant une expression équilibrée dans le foie et le muscle. Elle conduit à une correction partielle dans les deux tissus. En l’associant à la rapamycine, l’équipe vise à améliorer le ciblage musculaire et à réduire l’immunogénicité. Les résultats précliniques montrent une synergie thérapeutique, avec amélioration de la fonction musculaire et réduction de l’inflammation hépatique.
Olivier Biondi (LBEPS, Université d’Évry Paris-Saclay) étudie l’effet de l’exercice physique combiné à une thérapie génique dans deux dystrophies musculaires des ceintures aux tableaux cliniques très différents : calpaïnopathies et sarcoglycanopathies. En modulant l’intensité, la durée, la fréquence et la nature de l’effort, il a observé des bénéfices fonctionnels dont les mécanismes explicatifs varient selon la maladie et les muscles observés. Ses résultats montrent l’intérêt de cette association thérapeutique, mais aussi la complexité des mécanismes biologiques impliqués. L’efficacité de l’exercice semble reposer sur l’adaptation des protocoles aux spécificités pathologiques afin d’activer les bons mécanismes de compensation.
Table ronde : lever les verrous des thérapies combinatoires
Une table ronde a clôturé la journée autour des défis liés à la mise en œuvre des stratégies combinatoires. Les discussions ont souligné la complexité réglementaire de ces approches, notamment lorsqu’elles impliquent des produits issus de catégories différentes – molécules pharmacologiques, dispositifs médicaux, biothérapies – dépendant d’autorités distinctes ou des produits encore non approuvés. Les intervenants ont insisté sur la nécessité d’un dialogue précoce avec les agences réglementaires pour mieux orienter les stratégies de développement.
Une question centrale a émergé : à partir de quand parle-t-on véritablement de combinatoire ? Des exemples concrets ont illustré l’ambiguïté entre thérapie complémentaire, synergie, développement conjoint : faut-il considérer comme approche combinatoire un traitement de l’atrophie musculaire qui vient s’ajouter à un traitement primaire de la SMA, bien qu’il ne vise pas le même paramètre pathologique ? Peut-on inclure l’exercice physique comme un dispositif médical dans une stratégie thérapeutique combinée ?
Les intervenants ont confronté la définition scientifique, qui implique une logique synergique, à la définition réglementaire, plus large. Cette dernière inclut toute association d’au moins deux activités médicales développées conjointement, même sans synergie démontrée. Ainsi, une thérapie génique combinée à un diagnostic compagnon du taux d’anticorps anti-vecteur, ou associée à un traitement complémentaire visant un autre axe pathologique, peut être qualifiée de combinatoire réglementairement.
Les aspects de propriété intellectuelle ont également été abordés : protéger la combinaison de deux médicaments déjà brevetés nécessite des accords spécifiques avec les laboratoires concernés. De plus, le design des essais cliniques, plus complexe, peut être bloquant notamment dans le cas des maladies très rares. Le Dr Lemonnier a salué les assouplissements accordés par les autorités en cancérologie, notamment pour les évaluations de doses ou de traitements associés aux CAR-T cells.
Gérald Perret, directeur du développement à Généthon et co-animateur de la table ronde, a résumé le débat en soulignant : « Pour les maladies génétiques rares, souvent multisystémiques, le salut est dans une approche combinatoire, à deux, trois, voire quatre traitements. Mais faut-il le faire en amont au risque de ne pas y parvenir, ou de manière incrémentale comme par exemple dans la SMA ? »
Sébastien Lasnier, fondateur de la biotech Synaptys neuroscience a remarqué : « Les autorités commencent à s’assouplir et accepter cette notion de combinaison. Ensuite il y aura des évidences appuyées par vos expérimentations – merci encore pour cette journée – qui leur montreront l’utilité de l’approche. »
Pour la maladie d’Alzheimer contre laquelle Synaptys neuroscience développe une innovation inspirée des stratégies combinatoires en oncologie, les combinaisons thérapeutiques et la médecine de précision sont devenues le gold-standard de la prochaine génération de traitements.
Cécile Martinat, directrice d’I-Stem et co-animatrice de la table ronde : » Mais vont-elles s’assouplir sur des combinaisons de thérapies innovantes, compte tenu du focus des autorités sur la sécurité des traitements ? Montrer qu’on pourrait baisser les doses avec le combinatoire est une question essentielle. »
Une dynamique collaborative est lancée
La journée s’est inscrite dans une dynamique de réflexion collective sur les stratégies thérapeutiques. Les présentations et les échanges ont confirmé la pertinence des approches combinatoires comme voie d’avenir pour les traitements des maladies rares comme fréquentes. Plusieurs leviers ont été identifiés pour accélérer le développement des nouvelles thérapies et des approches combinatoires : renforcement des synergies entre recherche fondamentale, clinique et développement industriel, recours accru aux technologies numériques, dialogue renforcé avec les autorités de régulation, etc.
Ce travail collégial marque une étape dans la structuration d’une communauté scientifique interdisciplinaire autour des thérapies combinatoires.
En écho à la citation d’ouverture de Christophe Lanneau, directeur Recherche et Plateformes à Genopole, « l’événement a atteint une maturité sur la question de la place des thérapies innovantes et des approches combinatoires. Les discussions et la création d’un groupe de travail en témoignent « .
Ce groupe de travail, en cours de structuration, sous le pilotage de Olivier Biondi, visera à porter ces enjeux collectivement, en identifiant les verrous à lever, en mutualisant les expertises et en proposant des actions concrètes pour faire émerger des stratégies combinatoires efficaces, reconnues et accessibles. Une première réunion de lancement s’est tenue à la suite de la conférence.